Depuis,
les choses ont bien changé…, malheureusement.
Dans
ce premier bouquin, j'avais décidé d'inclure une petite nouvelle
sur le thème : « L'écriture d'un premier livre et sa
publication ». C'était la condition d'un concours sur Internet
pour gagner le prix de la nouvelle 2011. L’idée me séduisait ;
je m’en sentais capable. Et puis, le premier prix était alléchant.
Pensez un peu : vingt-cinq livres offerts. Non mais vingt-cinq
livres... Vous rendez-vous compte ?... Il faut vous dire que je
ne souffrais pas encore de la pression insupportable que m’impose
mon éditeur avec son minimum de vingt mille exemplaires à vendre à
chaque parution.
Vingt-cinq
livres offerts… Le rêve.
Ainsi,
je décidai d’écrire immédiatement ces vingt pages maximum
qu’imposait le règlement. Pour moi, c’était une cacahuète, un
truc que j’allais faire dans la nuit les doigts dans le nez !
Pff… A cette époque, j’avais la niaque. Je n’étais pas encore
harcelé par tous ces journalistes, toujours prêts à fouiller dans
le trou du cul du monde pour y dénicher la moindre parcelle de m…
Et puis, c’était mon histoire après tout ; je n’avais
juste qu’à coucher sur le papier ce que je vivais. Cela n’était
pas très compliqué. Et puisqu’il me fallait une quarantaine de
pages au minimum pour pouvoir publier mon bouquin, je rajouterais
trois ou quatre histoires et tout irait pour le mieux.
C’est
ainsi qu’un soir, la musique de l’album « More » de
Pink Floyd flânant dans mes haut-parleurs, ma chatte Zébulonne
dormant, sereine, là, près de moi, sur la gauche de l’écran de
mon ordinateur, un verre de whisky et quelques « cigarettes »
à portée de main, je décidai d’écrire la première phrase :
« Ah, je m’en souviendrai de ce premier bouquin. »
Dès
le début, tout se passait comme je l'espérais. Les phrases
s’enchaînaient les unes derrière les autres sans aucune
hésitation. J’allais droit au but. Je ne me cassais pas la tête
avec des détails. Il fallait être précis, direct. D’ailleurs,
pour vous dire la vérité, je rêvais déjà de pouvoir devenir
écrivain. Écrivain : ce mot, pour moi, résonnait comme une
note bleue, une note magique.
É-CRI-VAIN !...
« Qu’est
ce que vous faites dans la vie ?
— Moi ?
Je suis écrivain… »
Au
début, quand j’annonçais ma profession, ça surprenait tout le
monde. Et puis, tout de suite, tombait l’inévitable question :
« Et
vous en vivez ? »
C’est
curieux comme tout le monde cherche à savoir si l’artiste vit de
son art. Est-ce que Van Gogh vivait de ses peintures ? Il n’a
vendu que trois toiles… Mais non : les gens sont comme ça.
Ils veulent absolument vous enfermer dans une dynamique de vente, de
productivité. Que n’ai-je entendu à propos de la réussite
artistique. Le résultat est désastreux car aujourd’hui, Nous
avons affaire à une génération d'artistes qui ne sont, pour la
plupart, que des commerçants qui rêvent de devenir de gros
vendeurs, en oubliant un peu vite qu'il faut d'abord être de bons
créateurs.
L’art
n’a rien à voir avec le commerce. Pour moi, encore aujourd’hui,
l’enjeu est bien loin de ces considérations mercantiles. Il frôle
même, au risque de vous surprendre, le domaine du sacré, de la
sublimation.
Eh
oui, les enfants ! Prenez-en de la graine. C’est comme cela
que je suis devenu une star mondiale. Et croyez-moi, c’est bien
trop difficile à vivre et à supporter pour que ce soit le but
principale de la démarche artistique, voyons…
A
cette époque, je n’avais encore aucune technique d’écriture.
J’allais me plonger dans un torrent de mots, enchevêtrés les uns
dans les autres, comme un peintre balance de la peinture sur une
toile en ayant les yeux bandés. J’étais fou… Complètement fou.
Aucune structure, aucune construction, aucun style, aucune culture
littéraire, aucuns modèles... Je lisais très peu, pour ne pas dire
jamais. Et pour être tout à fait franc, tous les ouvrages sur
lesquels mes yeux se posaient m’ennuyaient généralement au bout
de quelques lignes.
Cette
perpétuelle recherche d’un style, chez la plupart des auteurs,
m’exaspérait. Non, moi ce que j’écrivais, ce n’était pas du
jazz, de la techno ou de la rumba. C’était la vie. Ce qui
m’importait était d’aller à l’essentiel et d’éviter la
redondance et les mots placés ça et là pour enjoliver le texte.
Non, tout ça… non. J’avais bien vite compris qu’il fallait
virer les adverbes et les points d’exclamation par exemple.
Je
maîtrisais d’instinct la fluidité du texte, comme une voiture qui
roule sur une route de campagne bien dessinée, de manière à ce
qu’il n’y ait aucun à-coup. Ainsi le véhicule trouve sa vitesse
de croisière et roule… roule… Jusqu’à ce qu’elle arrive à
l’entrée d’un virage en épingle à cheveux. Grand coup de
patins. Si jamais la voiture ne freine pas, c’est la catastrophe,
l’accident. Attention : le virage arrive, la voiture pile.
A
l’intérieur du véhicule les passagers vivent peut-être leurs
dernières secondes. Ils sont pétrifiés par la peur, tendus. Le
crissement des pneus qui glissent sur la chaussée est assourdissant.
Dans moins de deux secondes, ce sera peut-être le drame…
Qu’allait-il se passer ?
Le
lecteur, toujours un peu voyeur, aimerait bien le savoir… Je
prenais alors un malin plaisir à le laisser sur sa faim.
Eh
oui, les enfants, prenez-en de la graine. C’est comme cela que je
suis devenu une star mondiale.
Ma
nouvelle avançait à grands pas. En moins de deux jours, la
rédaction fut terminée. Il me restait encore quelques corrections
par ci par là, une petite mise en forme à faire, une bonne
relecture par là-dessus et Hop ! L’affaire était réglée.
J’étais
fier et galvanisé par mon travail.
Quand
soudain, tout a basculé.
Alors
que je m’apprêtais à écrire le mot fin, j’entendis ma voisine
de palier m’appeler au travers du mur de ma chambre.
« Gustave ! » (oui,
je m’appelle Gustave… ça pose un problème ?)
« Guuustaaaaaave ! », hurlait-elle
derrière son mur.
Je fus
soudain fort inquiet. Mais que lui arrivait-il donc ?
« Gustave !,
viens vite, viens voir ! »
Je me
levai d'un bond pour aller frapper à sa porte :
« Oui
Amanda, qu’est ce qu’il se passe ? Tu m’as appelé ?,
il y a un problème ?
— Écoute,
Gustave, il faut
absolument que tu voies ça tout de suite ! C’est très
important pour toi.
— Ah
bon ? Pourquoi ?
— Écoute,
je viens de voir un truc fantastique. Il y a un concours sur un site
Internet avec vingt-cinq livres à gagner. Non, mais tu te rends
compte ? Vingt-cinq livres !, me
dit-elle en me rappelant les modalités du fameux concours.
— Vingt-cinq
livres ?, non !, lui
répondis-je, amusé de la coïncidence et feignant de ne pas être
au courant.
— Oui
Gustave, tu dois écrire cette nouvelle, je suis sûre que tu peux
gagner !
— Intéressant, lui
dis-je. Écoute :
laisse-moi un petit
bout de temps et je reviens avec la nouvelle.
— Oui,
oui Gustave, allez hop !, mets-toi au boulot ! »
Et la
porte se referma…
« Vingt-cinq
livres, Gustave, N’oublie pas ! » répétait-elle,
galvanisée derrière sa porte.
Moi,
je riais comme un môme du bon tour que j’allais pouvoir lui jouer.
Je décidai d’attendre une petite heure et retournai frapper à la
porte d’Amanda.
« Amanda,
Amanda !, ça y est, c’est prêt ! La porte
s’ouvrit sur le visage d’Amanda qui me fixait, interloquée, avec
ses yeux tout ronds.
— Quoi ?!,
ne me dis pas que tu as déjà écrit la nouvelle, Gustave…
— Si
Amanda, c’est terminé ! »
Ma
voisine était scotchée. J’avais même préparé le fichier sur
une clé USB que je lui tendis sans attendre :
« Tiens,
lis ça, dis-moi ce que tu en penses.
— Alors
là, Gustave, tu m’épates !, me
dit-elle, soufflée. »
Dès
le lendemain, j’obtenais un rendez-vous avec le directeur d’une
des plus grosses boites d’édition de France. Amanda était la
secrétaire particulière du président. Et c’est ainsi, grâce à
cette nouvelle qui lui tomba un jour sous les yeux, que je suis
devenu une star mondiale.
Alors
que je venais de signer l’un des contrats les plus mirobolants de
l’histoire du livre, un mail arriva dans ma boite, que j’ouvris
aussitôt, fébrile :
« Monsieur,
Nous
avons bien reçu votre nouvelle et vous remercions de votre
participation. Nous vous informons que vous n’avez pas été retenu
et vous souhaitons bonne chance pour vos futurs travaux. »