mardi 2 août 2011

Mauvaise nouvelle pour Gustave


Illustration : Alain Groetzinger

Ah, je m’en souviendrai de ce premier bouquin. A cette époque, j’étais encore totalement inconnu : pas de fans plantés jours et nuits en bas de chez moi, pas de journalistes… Je pouvais sortir quand je voulais, où je voulais, dans la plus totale transparence. C’était le bon temps. J’étais noyé dans la masse des anonymes, de ceux qui prennent le métro tous les matins pour aller travailler, incolores, silencieux, avec leurs bouilles de cakes, leurs cols de fourrure qui recouvrent leurs épaules et leurs sourires en accent circonflexe.


Ah oui, c’était le bon temps…

Depuis, les choses ont bien changé…, malheureusement.

Dans ce premier bouquin, j'avais décidé d'inclure une petite nouvelle sur le thème : « L'écriture d'un premier livre et sa publication ». C'était la condition d'un concours sur Internet pour gagner le prix de la nouvelle 2011. L’idée me séduisait ; je m’en sentais capable. Et puis, le premier prix était alléchant. Pensez un peu : vingt-cinq livres offerts. Non mais vingt-cinq livres... Vous rendez-vous compte ?... Il faut vous dire que je ne souffrais pas encore de la pression insupportable que m’impose mon éditeur avec son minimum de vingt mille exemplaires à vendre à chaque parution.

Vingt-cinq livres offerts… Le rêve.

Ainsi, je décidai d’écrire immédiatement ces vingt pages maximum qu’imposait le règlement. Pour moi, c’était une cacahuète, un truc que j’allais faire dans la nuit les doigts dans le nez ! Pff… A cette époque, j’avais la niaque. Je n’étais pas encore harcelé par tous ces journalistes, toujours prêts à fouiller dans le trou du cul du monde pour y dénicher la moindre parcelle de m… Et puis, c’était mon histoire après tout ; je n’avais juste qu’à coucher sur le papier ce que je vivais. Cela n’était pas très compliqué. Et puisqu’il me fallait une quarantaine de pages au minimum pour pouvoir publier mon bouquin, je rajouterais trois ou quatre histoires et tout irait pour le mieux.

C’est ainsi qu’un soir, la musique de l’album « More » de Pink Floyd flânant dans mes haut-parleurs, ma chatte Zébulonne dormant, sereine, là, près de moi, sur la gauche de l’écran de mon ordinateur, un verre de whisky et quelques « cigarettes » à portée de main, je décidai d’écrire la première phrase : « Ah, je m’en souviendrai de ce premier bouquin. »

Dès le début, tout se passait comme je l'espérais. Les phrases s’enchaînaient les unes derrière les autres sans aucune hésitation. J’allais droit au but. Je ne me cassais pas la tête avec des détails. Il fallait être précis, direct. D’ailleurs, pour vous dire la vérité, je rêvais déjà de pouvoir devenir écrivain. Écrivain : ce mot, pour moi, résonnait comme une note bleue, une note magique.

É-CRI-VAIN !...

« Qu’est ce que vous faites dans la vie ?

— Moi ? Je suis écrivain… »

Au début, quand j’annonçais ma profession, ça surprenait tout le monde. Et puis, tout de suite, tombait l’inévitable question :

« Et vous en vivez ? »

C’est curieux comme tout le monde cherche à savoir si l’artiste vit de son art. Est-ce que Van Gogh vivait de ses peintures ? Il n’a vendu que trois toiles… Mais non : les gens sont comme ça. Ils veulent absolument vous enfermer dans une dynamique de vente, de productivité. Que n’ai-je entendu à propos de la réussite artistique. Le résultat est désastreux car aujourd’hui, Nous avons affaire à une génération d'artistes qui ne sont, pour la plupart, que des commerçants qui rêvent de devenir de gros vendeurs, en oubliant un peu vite qu'il faut d'abord être de bons créateurs.

L’art n’a rien à voir avec le commerce. Pour moi, encore aujourd’hui, l’enjeu est bien loin de ces considérations mercantiles. Il frôle même, au risque de vous surprendre, le domaine du sacré, de la sublimation.

Eh oui, les enfants ! Prenez-en de la graine. C’est comme cela que je suis devenu une star mondiale. Et croyez-moi, c’est bien trop difficile à vivre et à supporter pour que ce soit le but principale de la démarche artistique, voyons…

A cette époque, je n’avais encore aucune technique d’écriture. J’allais me plonger dans un torrent de mots, enchevêtrés les uns dans les autres, comme un peintre balance de la peinture sur une toile en ayant les yeux bandés. J’étais fou… Complètement fou. Aucune structure, aucune construction, aucun style, aucune culture littéraire, aucuns modèles... Je lisais très peu, pour ne pas dire jamais. Et pour être tout à fait franc, tous les ouvrages sur lesquels mes yeux se posaient m’ennuyaient généralement au bout de quelques lignes.

Cette perpétuelle recherche d’un style, chez la plupart des auteurs, m’exaspérait. Non, moi ce que j’écrivais, ce n’était pas du jazz, de la techno ou de la rumba. C’était la vie. Ce qui m’importait était d’aller à l’essentiel et d’éviter la redondance et les mots placés ça et là pour enjoliver le texte. Non, tout ça… non. J’avais bien vite compris qu’il fallait virer les adverbes et les points d’exclamation par exemple.

Je maîtrisais d’instinct la fluidité du texte, comme une voiture qui roule sur une route de campagne bien dessinée, de manière à ce qu’il n’y ait aucun à-coup. Ainsi le véhicule trouve sa vitesse de croisière et roule… roule… Jusqu’à ce qu’elle arrive à l’entrée d’un virage en épingle à cheveux. Grand coup de patins. Si jamais la voiture ne freine pas, c’est la catastrophe, l’accident. Attention : le virage arrive, la voiture pile.

A l’intérieur du véhicule les passagers vivent peut-être leurs dernières secondes. Ils sont pétrifiés par la peur, tendus. Le crissement des pneus qui glissent sur la chaussée est assourdissant. Dans moins de deux secondes, ce sera peut-être le drame… Qu’allait-il se passer ?

Le lecteur, toujours un peu voyeur, aimerait bien le savoir… Je prenais alors un malin plaisir à le laisser sur sa faim.

Eh oui, les enfants, prenez-en de la graine. C’est comme cela que je suis devenu une star mondiale.

Ma nouvelle avançait à grands pas. En moins de deux jours, la rédaction fut terminée. Il me restait encore quelques corrections par ci par là, une petite mise en forme à faire, une bonne relecture par là-dessus et Hop ! L’affaire était réglée.

J’étais fier et galvanisé par mon travail.

Quand soudain, tout a basculé.

Alors que je m’apprêtais à écrire le mot fin, j’entendis ma voisine de palier m’appeler au travers du mur de ma chambre.

« Gustave ! » (oui, je m’appelle Gustave… ça pose un problème ?)

« Guuustaaaaaave ! », hurlait-elle derrière son mur.

Je fus soudain fort inquiet. Mais que lui arrivait-il donc ?

« Gustave !, viens vite, viens voir ! »

Je me levai d'un bond pour aller frapper à sa porte :

« Oui Amanda, qu’est ce qu’il se passe ? Tu m’as appelé ?, il y a un problème ?

— Écoute, Gustave, il faut absolument que tu voies ça tout de suite ! C’est très important pour toi.

— Ah bon ? Pourquoi ?

— Écoute, je viens de voir un truc fantastique. Il y a un concours sur un site Internet avec vingt-cinq livres à gagner. Non, mais tu te rends compte ? Vingt-cinq livres !, me dit-elle en me rappelant les modalités du fameux concours.

— Vingt-cinq livres ?, non !, lui répondis-je, amusé de la coïncidence et feignant de ne pas être au courant.

— Oui Gustave, tu dois écrire cette nouvelle, je suis sûre que tu peux gagner !

— Intéressant, lui dis-je. Écoute : laisse-moi un petit bout de temps et je reviens avec la nouvelle.

— Oui, oui Gustave, allez hop !, mets-toi au boulot ! »

Et la porte se referma…

« Vingt-cinq livres, Gustave, N’oublie pas ! » répétait-elle, galvanisée derrière sa porte. 

Moi, je riais comme un môme du bon tour que j’allais pouvoir lui jouer. Je décidai d’attendre une petite heure et retournai frapper à la porte d’Amanda.

« Amanda, Amanda !, ça y est, c’est prêt ! La porte s’ouvrit sur le visage d’Amanda qui me fixait, interloquée, avec ses yeux tout ronds.

— Quoi ?!, ne me dis pas que tu as déjà écrit la nouvelle, Gustave…

— Si Amanda, c’est terminé ! »

Ma voisine était scotchée. J’avais même préparé le fichier sur une clé USB que je lui tendis sans attendre :

« Tiens, lis ça, dis-moi ce que tu en penses.

— Alors là, Gustave, tu m’épates !, me dit-elle, soufflée. »

Dès le lendemain, j’obtenais un rendez-vous avec le directeur d’une des plus grosses boites d’édition de France. Amanda était la secrétaire particulière du président. Et c’est ainsi, grâce à cette nouvelle qui lui tomba un jour sous les yeux, que je suis devenu une star mondiale.

Alors que je venais de signer l’un des contrats les plus mirobolants de l’histoire du livre, un mail arriva dans ma boite, que j’ouvris aussitôt, fébrile :

« Monsieur,

Nous avons bien reçu votre nouvelle et vous remercions de votre participation. Nous vous informons que vous n’avez pas été retenu et vous souhaitons bonne chance pour vos futurs travaux. »

Fin
Achèvement de l’écriture :
29 janvier 2011.
Je tiens à remercier chaleureusement toute l’équipe du site TheBookedition.com
pour nous offrir la possibilité de nous exprimer avec autant de facilité.
Alain Groetzinger


1 commentaire: